Impunité en Afrique : ces hommes forts dans des Etats faibles !

23 novembre 2013

Impunité en Afrique : ces hommes forts dans des Etats faibles !

« L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes » avait fait remarquer Barack  Obama en 2009 au Ghana, lors de son premier voyage africain en tant que président des Etats-Unis. Il risque d’achever son deuxième mandat sans que ses homologues africains n’aient assimilé la leçon. Comme plus que jamais, le continent noir peuple d’hommes hyperpuissants, qui s’estimant au-dessus de la loi, n’en font qu’à leur tête. Les exemples sont légion.

Au Mali, le capitaine Amadou Haya Sanogo, l’ex-homme fort du pays continue de garder apparemment toutes ses forces. Auteur du coup d’Etat du 22 mars 2012 qui a déposé le président Amadou Toumani Touré (à quelques jours de la fin du mandat de celui-ci), le maître du camp militaire de Kati, fort aussi bien de ses galons que de sa troupe, a refusé catégoriquement de comparaître devant la justice de son pays. Celle-ci avait estimé opportun que le prévenu capitaine vienne s’expliquer sur le bilan macabre de son putsch. Notamment, à propos des affrontements du 30 avril 2012 entre ses hommes (les bérets verts) et les bérets rouges. Une fois encore, la raison du plus fort aura pris le dessus sur la loi. La justice, c’est pour les pauvres, à la fois démunis et désarmés. En tout cas, le capitaine Amadou Sanogo a refusé d’obtempérer au mandat d’amener du juge d’instruction Yaya Karembé.

Les Guinéens ont-ils tort de croire détenir le monopole de l’impunité ? Aussi faudrait-il rappeler que (comme on a l’habitude de le dire) « La Guinée et le Mali sont deux poumons dans le corps ». Ainsi, rien d’étonnant que les deux pays ont des réalités en partage.

Certes, Conakry a eu droit le 23 décembre 2008 à un coup d’Etat sans effusion de sang. Ce qui, à vrai dire, n’était nullement à mettre à l’actif des putschistes. L’histoire des manifestations de rue en Guinée a maintes fois démontré que militaires et forces de l’ordre ont la gâchette facile.

Les Guinéens lassés des 24 ans de pouvoir du président Lansana Conté et de son entourage n’avaient aucun intérêt à s’opposer à un coup d’Etat, devenu l’unique sinon l’inévitable alternative politique possible. Pour les Guinéens, entre la solution constitutionnelle incarnée par Aboubacar Somparé, alors président d’une Assemblée nationale périmée et l’inconnu jeune et bouillant capitaine Moussa Dadis Camara, président autoproclamé, le choix était difficile pour ne pas dire impossible à faire. Certains ont même parlé d’un choix entre peste et choléra. Les Guinéens ont finalement regardé faire. Que le meilleur, plutôt le plus fort gagne ! Le suspense ne dura pas longtemps.

M. Somparé qui qualifiait au début les putschistes d’un petit groupe de soldats déloyaux qu’il maîtriserait sans effort se rendit à l’évidence. Comme les derniers coups de sabot d’un cheval mourant, sa voix s’estompa. Le coup d’Etat, avec ou sans appétit, fut consommé. Avec plus de peur que de mal, notamment celle de Ahmed Tidiane Soiré, dernier Premier ministre du régime Conté. Ce dernier convoqué avec les membres de son gouvernement au camp Alpha Yaya Diallo, le quartier général de la junte, a juré devant l’éternel de ne pas faire obstacle à la bonne marche du coup de force. Voilà pourquoi le sang des Guinéens n’a, du moins à cette occasion, pas été répandu dans les rues de Conakry. Mais ce n’était que partie remise.

Le 28 septembre 2009, la junte militaire a dû démontrer que c’est parce que les Guinéens ne s’étaient pas opposés au coup d’Etat qu’ils n’avaient pas payé de leur sang leur témérité. Des fleuves de sang auront coulé en ce jour fatidique. Officiellement, 150 âmes ont été sacrifiées pour que le capitaine se maintienne au pouvoir qu’il commençait à chérir au fil du temps. Pour la première fois dans l’histoire de la Guinée, des femmes sont violées en plein jour (des horreurs que le capitaine Sanogo a épargnées aux Maliens). Sans compter les disparus et les nombreux blessés. Quatre ans après ce carnage, la justice guinéenne n’a pas mieux fait que celle malienne.

Les bourreaux bénéficiant de l’impunité la plus totale se la coulent douce dans Conakry. Pire, en récompense de leurs forfaitures, ils sont primés, couronnés, gradés et promis à des postes de responsabilité dans les plus hautes sphères administratives. Les états généraux de la justice guinéenne de mars 2011 n’ont fait que stimuler l’impunité et les exactions. Le président Alpha Condé a décrété 2013 comme année de la justice. A quelques jours de 2014, les Guinéens n’auront vu que dalle. Aujourd’hui, les criminels, les meurtriers vivent plus libres que leurs victimes.

Les violées du 28 septembre, en plus du malaise qu’elles éprouvent de ne pas obtenir justice, vivent discriminées. Il y en a qui ont perdu leur mari le jour qu’elles ont perdu leur dignité dans et autour du stade du 28 septembre. Réunies en association et aidées par des organismes caritatifs et de défense des droits humains, elles cherchent à se remettre de leur mal en apprenant des métiers comme la saponification, la teinture, la coiffure ou autres. Mais ces femmes en raison de leur état de victimes se verraient refuser l’octroi de crédit par les institutions de microfinances. Une double injustice !

A part la Guinée et le Mali, les hommes forts sont aussi en Côte d’Ivoire où depuis l’investiture du président Alassane Dramane Ouattara en 2011, la justice ivoirienne ne mène son offensive que vers le camp du président déchu, Laurent Gbagbo. Peut-être que les pro-Ouattara sont des saints. Ce qu’on qualifie de justice à deux vitesses en Guinée, s’appelle justice des vainqueurs en Côte d’Ivoire. Les Ivoiriens peuvent tout de même garder espoir de voir les pro-Ouattara répondre de leurs actes devant la justice. Il leur suffira de voter FPI (Front populaire ivoirien) à la prochaine présidentielle pour que la situation change de camp. Ainsi, il ne restera qu’à l’artiste musicien Tiken Jah Fakoly à remixer la belle chanson qu’il avait dédiée aux Guinéens et à la réadapter à la situation de ses compatriotes ivoiriens. On aura alors au lieu de « Conakry électricité, chacun à son tour comme chez le coiffeur », « Abidjan justice, …. ». De toute façon, il n’y a plus de tour-tour à Conakry d’autant qu’il n’y a plus de courant. Donc, les Guinéens ne rougiraient pas que leur chanson rende autrement hommage à leurs frères ivoiriens.

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