Avec Ebola les relations diplomatiques s’enfièvrent

Article : Avec Ebola les relations diplomatiques s’enfièvrent
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25 septembre 2014

Avec Ebola les relations diplomatiques s’enfièvrent

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La fièvre hémorragique Ebola est lourde de conséquences. Elle risque de laisser sur son passage des séquelles autres que les milliers des morts et les milliards de dollars dépensés ou de manque à gagner. La maladie commence à provoquer aussi des conséquences diplomatiques entre des pays qui voient leurs relations pluriséculaires se refroidir. Dans l’indifférence, malheureusement.

Jusque-là, la Guinée s’était résolue à encaisser sans réagir les coups de son voisin, le Sénégal. Dès qu’Ebola s’est annoncé au sud de la Guinée, au nord, le pays de Macky Sall a fermé ses frontières pour se protéger. Mesure que les autorités guinéennes ont interprétée par la souveraineté de l’Etat sénégalais, qui ne tardera pas à renforcer la fermeture des frontières, cette fois-ci terrestre, maritime et aérienne. Air Sénégal évite l’aéroport de Conakry, où pourtant les dispositions de contrôle sanitaire ont été renforcées, pour éviter l’exportation du virus. Les recommandations de l’OMS minimisent la contamination par voie aérienne. La goutte d’eau qui aura fait déborder le vase est l’étudiant guinéen qui s’est retrouvé à Dakar, avec le virus Ebola. Hospitalisé, puis guéri de la maladie, il a dû bénéficier de l’indulgence du président Macky Sall qui avait menacé de le faire juger pour avoir violé la fermeture des frontières du pays de la Téranga. Ainsi, les autorités de Dakar ont décidé de rapatrier l’étudiant guinéen de l’université Cheikh Anta Diop, en cette période de rentrée universitaire. Pourtant, selon les experts, les malades guéris d’Ebola ne présentent plus de risque de contagion. Dakar était loin de deviner la réaction de Conakry.

En signe de représailles, l’aéroport international de Conakry Gbessia a été refusé à l’avion qui devait rapatrier « le colis encombrant ». Le coucou s’est finalement posé à l’aérodrome de Kédougou. Il ne pouvait trouver mieux, Kédougou, en Diakanké, signifiant « le pays de l’homme » (https://fr.wikipedia.org/wiki/K%C3%A9dougou). Mieux, le pulaar (langue maternelle de l’étudiant) y est beaucoup parlé. Le seul problème, notre étudiant discriminé par Dakar et refoulé par Conakry devait maintenant rentrer au pays comme il en était sorti : par la route. Il est ainsi la plus célèbre victime du refroidissement des relations diplomatiques entre les deux capitales. Mais les anonymes sont les plus nombreux ?

Le Sénégal et la Guinée n’ont pas intérêt à s’affronter. En janvier dernier, l’ambassadeur de la Guinée à Dakar, Mamadou Bo Keita, avait avoué ignorer le nombre exact de ses compatriotes se trouvant au pays de Macky Sall. Leur nombre varierait entre 2, 5 millions et 2,8 millions. A l’inverse, à des degrés différents, les Sénégalais se sont intégrés en Guinée au point qu’il y a une mosquée « sénégalaise » au cœur de Conakry, précisément à Kaloum, le quartier administratif et des affaires.

A quelque chose malheur est bon, dit-on. Ebola aura été un instrument de mesure du niveau d’intégration et de solidarité des pays africains, qui rivalisent dans la fermeture des frontières aux pays touchés. Le principe de libre circulation des personnes et de leurs biens est foulé au pied. Peut-on continuer à rêver d’une Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) des peuples quand celle des Etats est en péril ? Que sont devenues l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) et celle de la mise en valeur du fleuve Gambie (OMVG) ? Même l’Afrique du Sud qui se trouve à l’autre bout du continent a fermé ses frontières. Aujourd’hui, la solidarité aux pays touchés par la fièvre hémorragique virale Ebola vient d’ailleurs, hors d’Afrique. Le panafricanisme a été enterré avec Sékou Touré, Patrice Lumumba, Thomas Sankara et Hailé Sélassié.

Le retour de Paris ?

Sans Air France, Brussels air lines et Royal air Maroc, l’aéroport de Conakry aurait fermé. C’est surprenant de voir ces trois compagnies continuer à desservir la capitale guinéenne pendant que celles des voisins prennent le large. Même si les rapports entre le Maroc et la Guinée sont traditionnellement bons. Le « Non » du premier président guinéen Ahmed Sékou Touré au général de Gaulle, le 25 août 1958 à Conakry, avait profondément entamé les rapports entre l’ancienne métropole et son ancienne colonie. Mais aujourd’hui, au plus fort de la crise sanitaire, l’implication de la France dans la lutte contre Ebola en Guinée ne passe pas inaperçue. La hache de guerre est-elle définitivement enterrée ? En tous les cas, Ebola a réussi à faire venir à Conakry un officiel français, en la personne de la secrétaire d’Etat au développement et à la Francophonie, Annick Girardin. Jusque-là, Alpha Condé s’était vu contraint de se consoler de son « frère jumeau » de Bernard Kouchner, l’ex-ministre français des Affaires étrangères, qui semble élire domicile à Conakry. François Hollande est venu jusqu’aux portes de la Guinée, sans les franchir. Comment expliquer ce subit intérêt, à qui Conakry doit le retour de l’Institut Pasteur et espère l’installation prochaine d’un hôpital militaire français en Guinée forestière, le foyer de l’épidémie Ebola ? Question d’intérêt géopolitique ? Ou de simple compassion ? Ce qui est constant, c’est que la France et la Guinée ont en partie une Histoire commune. La colonisation a été fâcheuse, mais on ne peut la nier. L’usage de la langue française en est l’une des illustrations. A mon avis, il revient à la France d’assainir ses relations avec son ancienne colonie. C’est de sa négligence si une autre puissance est privilégiée dans les pays d’Afrique francophone.

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Commentaires

renaudoss
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Intéressant... C'est un des aspects de la chose nous échappe quelque peu, je l'admets. Les séquelles diplomatiques peuvent effectivement être plus longues à disparaitre que d'autres... ou pas. En tout cas, il est évident que ce genre de friction inter-état n'est pas pour arranger une situation déjà déicate.
Seulement, le seul bémol que j'émettrais serait rapport au rôle de la France, je pense qu'il revient aux pays Africains, francophones qui plus est , de trouver des solutions à leurs problèmes, qu'ils fassent ne serait ce que semblant d'être souverains et autonomes par moments.

diawolabboyah
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Je suis d'accord avec toi Renaudoss, pour ce qui de la souveraineté. Au fait, je déplore la rupture totale sinon la froideur des relations entre la France et certaines de ses anciennes colonies comme la Guinée. Les Etats-Unis c'est la première puissance mondiale. Il n'y a aucun doute que c'est un Etat souverain. Mais voyez comment ils parlent de la même voix, ils coopèrent avec l'Angleterre (l'ancienne métropole). Tout ça c'est beau! Parfois, j'ai l'impression pendant que d'un côté on s'enorgueillit de notre souveraineté, de l'autre, on attend l'assistance étrangère pour faire face à des petits problèmes. Un Etat souverain c'est celui qui est à même de garantir la sécurité, la santé, l'éducation, mais aussi et surtout le manger à ses citoyens. Donc ce n'est pas un simple slogan, la souveraineté. Il y a le principe et il y a la réalité du terrain. Je ne voudrais pas renier notre histoire, mais en Guinée on en sait quelque chose. Plus de cinquante ans après le "Non" à de Gaulle, on a compris que notre premier président, Ahmed Sékou Touré, s'était tromper de croire qu'une liberté dans la pauvreté était possible.

larissakouassi
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C'est dommage que chacun veille se terrer chez lui, dans son pays; "là où il n y a pas l'ébola", pour limiter les dégâts, sans même proposer de l'aide à ceux qui sont en difficulté. Je me demande où est passée cette solidarité africaine dont on se vante parfois.

diawolabboyah
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C'est le gros point d'interrogation, Kouassi.